Par Levi FERNANDES
Yeux fermés, veines du cou tendues, la tête légèrement penchée en arrière, toute de noir vêtue, un châle frangé posé sur les épaules, la chanteuse entonne un fado de sa voix grave dans la pénombre de ce restaurant de Lisbonne. La comparaison avec Amalia, la grande dame du fado, est inévitable.
Même silhouette, mêmes intonations, même grâce. La ressemblance avec Amalia Rodrigues, qui a porté ce chant traditionnel portugais à travers le monde, décédée il y a huit ans, ne manque pas de troubler les spectateurs.
A 83 ans, Celeste, trois ans plus jeune qu'Amalia, poursuit sa propre carrière après plus de soixante ans passés à l'ombre de sa soeur, et revient sur le devant de la scène dans l'une des maisons de fado traditionnelles du quartier d'Alfama, berceau de ce style musical.
"Ma soeur a eu plus de succès que moi, parce qu'elle chantait beaucoup mieux. Tout simplement!", confie Celeste, dans un élan de modestie, à l'issue du spectacle.
"Etre la soeur d'une diva, ne m'a jamais fait de l'ombre. Au contraire. Je suis sa plus grande admiratrice. Elle avait tout ce dont un artiste peut rêver", affirme-t-elle lors d'un entretien.
"Quant à moi, c'est agréable de continuer de chanter à mon âge et de plaire. Mais après un spectacle je rentre et j'oublie les applaudissements. Le fado fait partie de ma vie, mais n'est pas ma vie. Je n'ai jamais rêvé d'une grande carrière artistique", raconte la fadiste après un spectacle au Bacalhau de molho, la maison de fado où elle se produit tous les mardi soir. "J'ai fait une carrière discrète. Et c'est très bien comme ça".
Depuis ses débuts dans les années quarante, elle a publié 58 disques, parmi lesquels "Olha a mala" (Regarde la valise), son plus grand succès. Elle a tenu avec son ancien mari, l'acteur portugais Varela Silva, une maison de fado. Elle s'est produite au Brésil, aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Italie, en Angleterre.
Après avoir passé plusieurs années aux Etats-Unis, Celeste est rentrée au Portugal depuis environ trois ans pour poursuivre sa carrière. Elle est actuellement à l'affiche d'un spectacle de fado: "Cabelo branco é Saudade" ("les cheveux blancs, c'est la mélancolie"), déjà présenté dans plusieurs villes européennes.
Amalia et Céleste appartiennent au mythe du fado, devenue la musique emblématique de tout un peuple et la voix du Portugal dans le monde. Selon certains musicologues, le fado proviendrait du Brésil où les rythmes noirs importés par les esclaves africains se mêlèrent aux "modinhas", airs de musique des salons nobles.
Il fut ensuite ramené d'Amérique du sud par les aristocrates et leurs domestiques qui avaient, en 1807, suivi la cour portugaise fuyant à Rio de Janeiro les troupes napoléoniennes.
Comme celle de sa soeur Amalia, la carrière de Céleste a débuté un peu par hasard. "J'avais 12 ans et ma soeur Amalia en avait 15. Nous travaillions dans une boutique de souvenirs. C'est là que ma soeur a été remarquée par un impresario. Elle n'avait jamais imaginé faire un jour une carrière artistique", déclare Celeste qui fume cigarette sur cigarette.
"Moi, j'ai commencé six ans plus tard. On m'a demandé plusieurs fois de chanter dans un restaurant de fado où j'avais l'habitude de déjeuner tous les samedi. J'ai hésité. Puis, un beau jour j'ai fini par chanter un couplet. L'impresario de ma soeur était présent. Il m'a dit: +toi aussi tu vas chanter+. C'est comme ça que j'ai débuté à 22 ans" au théâtre ABC à Lisbonne, raconte-t-elle.
"Depuis, je suis toujours là. Chanter le fado est la chose la plus difficile qui soit et la plus facile en même temps. Il n'y pas d'école de fado. Il est difficile de dire si telle ou telle chanson est du fado ou pas. Tout dépend de la sensibilité de la personne, poursuit-elle. Mais en tout cas, si je suis toujours en vie, c'est grâce au fado".
lf/ep
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