lundi 20 janvier 2014

Le 25 avril derrière les barreaux, un ancien détenu politique raconte (2004)


   Le 25 avril derrière les barreaux, un ancien détenu politique raconte
   Par Lévi FERNANDES
 
   PENICHE (Portugal) - Francisco Martins Rodrigues, opposant politique, était détenu au fort de Peniche, prison du régime salazariste, lorsque la Révolution des Oeillets a mis fin le 25 avril 1974 à plus de quarante ans de dictature au Portugal. Trente ans plus tard, il revient sur les lieux.
   "+Les détenus dehors+, scandaient des dizaines de personnes massées à  l'extérieur de la prison. C'est alors que nous avons commencé à comprendre ce qui se passait réellement", raconte Francisco Martins Rodrigues, aujourd'hui âgé de 77 ans, à un groupe de journalistes.
   "En ce 25 avril, la radio de la prison n'avait pas été allumée. Quand nous avons demandé au gardien pourquoi, il nous a répondu que le transistor était en panne. Ce n'est que plus tard dans la journée après la visite de la famille d'un détenu, que nous avons appris qu'un coup d'Etat s'était produit", se souvient cet ancien détenu politique, condamné à une peine de 19 ans de prison, qui a passé neuf ans derrière les barreaux.
   "Les heures passaient et rien ne bougeait, finalement un avocat est venu nous expliquer que la GNR (garde nationale républicaine) de la prison refusait de se rendre au MFA" (Mouvement des forces armées), auteur du coup d'Etat, poursuit-il. Après des négociations, les prisonniers sont finalement libérés deux jours plus tard par un capitaine du MFA.
   Les prisons politiques, créées au début des années trente, sont un rouage  essentiel qui explique la longévité de la dictature. "Sans l'incarcération de l'opposition, le régime aurait difficilement survécu plus de quatre décennies", estime l'historien portugais Luis Farinha.
   Au plus fort de la répression, à la veille de la seconde Guerre Mondiale, elles comptaient près de 10.000 prisonniers politiques.
   La prison de Peniche, aujourd'hui fermée était insérée dans une ancienne forteresse militaire du Moyen-Age, bordée par des remparts d'un côté et par l'océan de l'autre, à une soixantaine de kilomètres au nord de Lisbonne. Un emplacement choisi pour décourager les évasions.
   "Après avoir accompli sa peine, le prisonnier était entendu par la PIDE (police politique), qui devait évaluer si l'individu était "régénéré". Ils exigeaient ensuite une déclaration de répudiation du communisme, si le détenu refusait, il restait en prison. La PIDE proposait et le tribunal appliquait la sentence", explique Martins Rodrigues, qui est entré au comité central du Parti communiste en 1961, avant de rejoindre le mouvement maoiste en 1963.
   En 1960 il s'échappe à l'occasion d'une évasion spectaculaire. Dix détenus, dont le dirigeant communiste Alvaro Cunhal, parviennent à s'évader avec la complicité d'un gendarme.
   Les prisonniers anesthésient le gardien et s'emparent de la clé. "Nous l'avons attaché, puis nous avons pris des draps, les avons noués pour en faire une corde et avons glissé le long du mur. Une fois à l'extérieur, ce gendarme soudoyé par le PC nous cachait un à un jusqu'à la sortie" du fort.
   Après cette évasion, Francisco Martins est arrêté une nouvelle fois en 1966 et retourne à Peniche en 1970 avant d'être libéré quatre ans plus tard grâce à la chute du régime.
Source: AFP 20/04/2004

   Un vent de liberté souffle sur le fado après la Révolution des Oeillets
   Par Lévi FERNANDES
 
    Le fado, chant traditionnel populaire portugais, a connu un nouveau souffle avec la Révolution des Oeillets, qui a renversé le 25 avril 1974 la dictature de Salazar et mis un terme à plus de quarante ans de censure.
   "Quand des baisers tendres délirants sont échangés, l'amour efface tout, entre les lèvres de deux amants": cette strophe d'un texte de fado avait été censuré par le régime salazariste en mars 1939.
   "La censure a été castratrice" pour les artistes de fado, souligne Carlos do Carmo, 64 ans, qui chante la "saudade", la nostalgie portugaise, depuis plus de quarante ans.
   "Les chanteurs ont dû passer d'un fado social à des fados au contenu peu intéressant. Le régime les avait anesthésiés", explique-t-il, lors d'une rencontre intitulée "respirations d'avril sur le fado".
   Tous les textes de fado, ainsi que toutes les autres expressions artistiques ou écrits, étaient soumis à la Commission de censure, mise en place dès le début du régime salazariste en 1926. Des thèmes tels que l'amour charnel, la démocratie, la critique sociale ou encore les références à la bourgeoisie étaient systématiquement censurés.
   "Chaque artiste possédait un dossier, où il glissait les textes de ses chansons, qui devaient être soumis à la Commission de censure", se souvient Carlos do Carmo.
   "Puis, il y avait à côté, des fados chantés à huis clos, entre amis et gens de confiance, qui échappaient à la censure. C'était une sorte de rédemption de notre dignité", poursuit-il.
   Les chanteurs de fado, souvent issus de milieux modestes, étaient assimilés à des sympathisants des mouvements de gauche par le régime salazariste du simple fait de leurs origines sociales. La Pide (police politique) avait, par exemple, catalogué Amalia Rodrigues, diva du fado originaire d'un quartier populaire de Lisbonne, sympathisante du Parti Communiste.
   Avec la disparition de la censure, l'un des piliers de la dictature, le Portugal connaît une véritable explosion artistique.
   "Les auteurs de théâtre ont ressorti des pièces enfermées dans les tiroirs depuis de longues années, les chanteurs engagés ont pu entendre leurs chansons diffusées à la radio", rappelle le fadiste.
   Mais après le 25 avril 1974, le fado rencontre d'autres résistances et doit faire face à une "animosité assez violente" de la part d'une "certaine gauche plutôt radicale", qui a "collé le fado au salazarisme".
   Le "Parti Communiste voyait le fado comme un narcotique, qui avec le football et Fatima (centre de pèlerinage catholique)", étaient utilisés par la dictature pour endormir les esprits, relève Carlos do Carmo.
   Pour la chanteuse Mariza, 30 ans, qui incarne le renouveau du fado, il est difficile de comprendre ce que pouvait représenter pour un artiste le poids de cette censure.
     "Pour moi le 25 avril signifie la fin d'un régime et davantage de liberté mais (...) j'aurais beaucoup aimé vivre à cette époque pour me rendre compte réellement de l'atmosphère qui y régnait", confie la chanteuse à l'AFP.
   "L'absence de liberté d'expression a permis l'écriture de textes fantastiques", observe-t-elle.
   "Il fallait lire plusieurs fois un même texte pour en saisir le sens", à l'image de la chanson, rendue célèbre par l'interprétation d'Amalia Rodrigues, "Gaivota" (mouette), symbole de la liberté, qui avait réussi à passer à travers les mailles de la censure.
     "Le fado a toujours reflété la façon d'être, l'âme des Portugais. Et la Révolution des Oeillets a également laissé une trace", résume Nuno Lopes, journaliste spécialiste du fado.

   Source: AFP -  24/04/2004


   Trente ans de progrès sociaux au Portugal inégalement perçus
   Par Lévi FERNANDES
 
   Le Portugal a connu depuis la Révolution des Oeillets un développement économique et social accéléré qui a transformé les modes de vie, mais la crise actuelle assombrit la perception de ces progrès par les Portugais.
   "Les bienfaits sociaux que les Portugais ont obtenu sont si importants que avons atteint un degré de développement sans aucune commune mesure avec la période" de la dictature, estime l'ancien président socialiste Mario Soares, acteur politique de premier plan de la démocratie au Portugal, dans un entretien avec l'AFP.
    Selon un sondage publié cette semaine par le quotidien Publico, seuls 36%  des Portugais estiment que le 25 avril a permis d'améliorer leur qualité de vie. Et 42% jugent que l'amélioration des conditions de vie des plus pauvres reste une priorité.
   Quelques données publiées par l'Institut national des statistiques permettent toutefois de mesurer le chemin parcouru.
   En 1970, 36,2% des logements n'avaient pas l'électricité, 41,9% n'avaient pas le tout-à-l'égout et plus de la moitié n'avait pas l'eau courante. La quasi totalité des Portugais dispose aujourd'hui de ces commodités.
   Le Portugal s'est rapproché du niveau de vie de ses voisins européens notamment depuis 1986, lorsqu'il a rejoint la CEE (Communauté économique européenne) qui a donné un coup d'accélérateur à sa croissance.
     "La marge qui nous sépare des Etats européens les plus développés est de plus en plus réduite", observe l'économiste Pedro Lains dans l'hebdomadaire Visao.
     Le revenu disponible avant impôts des Portugais est aujourd'hui 78 fois supérieur à celui d'avant la révolution. Quant au produit intérieur brut (PIB) par habitant, il a été multiplié par 100 depuis 1970 pour atteindre 12.000 euros.
   Plus de la moitié des familles possèdent aujourd'hui une voiture et près 82% des ménages sont équipés d'un lave-linge. Revers de la médaille, l'endettement des familles a fortement augmenté.
   L'espérance de vie a progressé de près de neuf ans en trente ans et le taux de mortalité infantile a considérablement baissé, alors que 55 enfants sur 1000 ne survivaient pas à la première année.
     Les niveaux d'instruction et de qualification se sont améliorés. Le taux d'analphabétisme est tombé de 25,7% en 1974 à 9%.
   Contrairement à la période du régime salazariste, "le fils d'un pauvre peut aujourd'hui plus facilement entrer à l'université", souligne l'économiste Antonio Barreto.
   Le nombre d'étudiants, qui s'élève aujourd'hui à 390.000, a été multiplié par dix depuis 1974.
   La structure familiale et les pratiques matrimoniales ont profondément évolué dans ce pays à forte tradition catholique. Les familles nombreuses tendent à disparaître. Les divorces, quasiment impossibles sous la dictature, sont cinq fois plus nombreux qu'en 1976.
   La part des femmes dans la population active est passée de 25,2% en 1970 à 45,1% en 2001. Elles représentent aujourd'hui plus de la moitié des étudiants de l'enseignement supérieur.
     Et le Portugal est devenu un pays d'immigration, après avoir longtemps vu sa population émigrer à la recherche de meilleures conditions de vie.
   Reste que le processus de rattrapage du reste de l'Europe est aujourd'hui en panne. Le Portugal est entré en récession en 2002. Il se débat pour maîtriser son déficit budgétaire et connaît un endettement croissant. Le chômage, très faible, il y a deux ans, a rapidement augmenté pour atteindre près de 7%.
     Et selon le Conseil économique et social, 200.000 personnes souffrent toujours de la faim au Portugal.
   
Source: AFP - 22/04/2004

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